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Un aperçu de ma collection de CDs et disques + mes chroniques (textes protégés par le code de la propriété intellectuelle, tous droits réservés)

Chronique de l'album "Blur" de Blur (1997)12/12/2017


Incroyable mais vrai : la maturité existe chez Blur. On l’a même rencontrée, incarnée par cet album sobrement intitulé Blur qui, d’un point de vue chronologique, prend place entre un bon The Great Escape et un 13 moyen. Cette situation est d’ailleurs symptomatique de ce que vaut cette formation dans l’ensemble, qui n’a jamais excellé sur aucun projet, mais qui en moyenne demeure bonne voire assez bonne. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, aucun de leurs opus ne méritant de figurer dans la liste des disques légendaires de la pop ou du rock, assez loin de l’enthousiasme que purent susciter à juste titre les Beatles ou les Doors en leur temps, Blur n’est pas davantage meilleur sur le terrain des titres considérés indépendamment les uns des autres, dans le sens où aucun de leurs hits n’atteint le niveau de qualité de chansons aussi jouissives que « True Faith » de New Order ou « Hallelujah » des Happy Mondays, ou encore la majesté de « Bittersweet Symphony » de The Verve (basé sur « The Last Time » des Rolling Stones), sans parler de l’hédonisme somptueux des meilleurs succès de Suede ou de Garbage. Quelle est donc cette fameuse qualité commune à tous ces exemples, et qui a échappé à Blur ? Le fait d’assumer une seule ligne directrice et de s’y tenir du début à la fin, avec ce style franc et entier auquel on reconnaît les bons adultes. Blur a souffert de la sophistication composite et, pour tout dire, hésitante ayant contribué à développer une sorte de malédiction chez eux, celle de devoir accepter, tolérer un public en partie formé de médiocrates, d’esprits faibles, de gens résignés, jusqu’à la complaisance, face à la morosité de leur époque. En même temps, personne n’est infaillible. Le maintien permanent au sommet ne se rencontre pas tous les jours au coin de la rue. Mais certains font quand même plus attention que d’autres, et il faut bien admettre que, dans le cas de Blur, on est plus d’une fois tenté de se demander, à l’écoute de leurs baisses de régime, s’ils le font exprès ou si c’est totalement inconscient de leur part. Quelle que soit la réponse, elle ne témoigne pas en faveur d’un quelconque aboutissement. On reste malheureusement dans l’entre-deux, dans la demi-mesure, dans le comportement fuyant d’une bande de collégiens (ou d’élus politiques, ce qui revient au même, en pire) incapables d’endosser la responsabilité de leurs pitreries et invoquant le non-argument par excellence : le second degré, où les vrais talents sont hélas rarissimes. Bien entendu, il faut relativiser. Il y a des choses bien plus graves dans le monde que la décadence des musiques populaires occidentales, mais ces dernières, mondialisées, contribuent à une ambiance, et c’est aussi cette ambiance qui aide le monde à tenir, adoucissant les mœurs et donnant du cœur à l’ouvrage. Alors autant demander aux rockeurs de faire de bons albums. Est-ce parce que toute généralité admet des cas particuliers, toujours est-il que, dans le cas de Blur, la demande a été largement entendue. Plus dépouillé, plus électrique et plus introspectif que le précédent The Great Escape, également riche en sonorités acoustiques bien dosées, moins nasillard et moins criard, plus posé que tout ce qu’ils ont pu commettre auparavant, ce disque mérite l’attention, le respect et la considération. C’est du très bon travail. Que l’on en juge : en quête d’un noyau dur, d’une solidité substantielle, « Beetlebum » permet au groupe de s’exprimer pleinement, entre les accords de guitare qui avancent à pas prudents et l’osmose entre le chant principal et les chœurs, au service d’un texte à la fois simple et audacieux, illustrant la manière dont le rock s’est démarqué du blues traditionnel en traitant de manière moins implicite le thème de la sexualité (« She'll suck your thumb, she'll make you come »), sur quoi « Song 2 », explosif et totalement réconcilié avec le grunge, achève de poser les premières bases d’une série de quatorze titres qui tiendront la route. Les bases secondaires reviennent au calme mélancolique de « Country Sad Ballad Man », graduellement plus agressif et donnant un autre indice de la maturité ambiante, un indice paradoxal : puisque les intonations poussives de Blur sont un défaut qui trahit leur confusion, il leur fallait d’abord arrondir les angles partout, avant d’injecter davantage de puissance. Ainsi les souvenirs inconscients de New Order ou de REM, que l’on peut déceler dans le rock à la fois primaire, mélodieux et dissonant de « M.O.R », ou la discrétion des effets électroniques intégrés au festif « On Your Own », prouvent que c’est en atténuant le plus possible leur propre caricature que les musiciens parviennent à s’affirmer. C’est là que le plus méditatif « Theme from Retro », faisant la part belle aux instruments, prend son envol, et que « You’re So Great », d’abord plus proche de la dualité intime entre la voix et la guitare acoustique avant d’accueillir la guitare électrique, termine en beauté la première partie du disque. La lenteur sombre du rythme de « Death of a Party », qui préfigure le « Clint Eastwood » de Gorillaz, constitue pour Damon Albarn une opportunité de traduire l’émotion du chant avec justesse, grâce à une voix claire et appliquée. Plus punk, à la limite du hardcore, « Chinese Bombs » fait le plein d’énergie et passe tout seul, car la guitare recourt à la même simplicité brute que partout ailleurs : la couleur de l’opus reste reconnaissable, la violence n’étant qu’une question de degré. Dans une synthèse réussie entre « Death of a Party » et « Chinese Bombs », « I’m Just a Killer for Your Love », rumination du tueur passionnel, ne laisse plus, après lui, que quatre chansons pour faire un pas de travers. Cette fois, Blur n’en fera aucun : du folk dynamisant de « Look Inside America » aux mystérieux commentaires d’ « Essex Dogs » (où l’on croit reconnaître Kat Onoma, puis René Aubry), en passant par les horizons planants de « Strange News from Another Star » et la folie maîtrisée, vraiment marrante pour le coup, de « Movin’ On », ils ont atteint le sommet de leur art. Il ne s’agit pas d’un chef d’œuvre absolu, mais de leur meilleur album s’il faut indiquer une préférence par rapport à Think Tank, tout aussi bon dans un style plus bariolé. Ce Blur, un vrai classique du genre, n’a pas pris une ride en 2017, soit vingt ans plus tard. Note : 8/10.


D. H. T. (12/12/2017)

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Chronique de l'album "Seeds" de TV On The Radio (2014)11/12/2017


Le disque commence plutôt bien, avec un « Quartz » lumineux, profond, incantatoire, entre chanson ancestrale et prise directe avec l’époque, les bras grands ouverts dans les sommets, la tête survolant les nuages. Il n’y a pas de raison que la suite ne respecte pas cette plénitude, même si l’expérience montre que l’on peut rapidement être déçu d’un groupe dans les années 2000 et 2010. Il semble que TV On The Radio confirme décidément à chaque essai son statut de valeur sûre, ici dans une ambiance aérienne et spirituelle, que le rythme décidé, les sonorités électroniques évidentes ainsi que les nappes synthétiques légères comme un souffle de « Careful You » restituent dans une belle continuité. Il y avait une difficulté dans le dessein de donner suite à un opus aussi abouti que Nine Types of Light et, sans vouloir crier tout de suite victoire, le parti pris consistant à donner de la respiration à la musique s’imposait, avec une ingéniosité propre à cette formation dont chaque membre reste conscient du bilan que tout musicien consciencieux digne de ce nom se doit d’établir à l’issue d’un projet. Rapide et tranquille, avec des voix en équilibre entre les longs murmures et le chant affirmé, « Could You » s’inscrit dans le droit fil des deux premiers titres, la section cuivres en renfort. En même temps plus rock et plus électronique, « Happy Idiot », où la saturation prend autant d’importance que la régularité mécanique du rythme, avance lui aussi d’un pas décidé. Plus pensif, plus sérieux, le minimaliste « Test Pilot » porte le caractère clair et intelligible de l’émotion véhiculée par les paroles, toujours dans la plénitude par conséquent : la pause idéale avant d’aborder les sept morceaux restants. Les accents instrumentaux sombres et agressifs de « Love Stained », contrastant avec la douceur limpide de la voix, poussent la chanson vers le rock au prix d’un effort à la fois sobre et doté d’un grand pouvoir de suggestion, donnant l’occasion à la mélodie de se renouveler jusqu’au bout. « Ride » tempère les ardeurs, ouvrant naturellement l’accès à un champ de contemplation où s’attardent les accords de piano sereins, bientôt rejoints par d’autres sonorités classiques, avant que le rock ne surgisse de nouveau, plus flamboyant que jamais dans l’espace dégagé pour les planeurs. « Right Now » lui aussi accomplit cette synthèse, qui s’affirme ici et là au fil de l’album, entre un tempo assez rapide, une section rythmique bien présente, de longues sonorités paisibles et un chant soul économe, au plus près du rock relaxant. C’est « Winter » qui introduit la violence de la guitare électrique avec le plus de brio, histoire d’ajouter un peu de piment au bon moment, juste avant la ferveur de « Lazerray », à la limite du punk, devançant l’introduction folk de « Trouble » et les variations vocales de « Seeds », où l’optimisme reste de rigueur. Note : 8/10.


D. H. T. (11/12/2017)

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Chronique de l'album "Dear Science" de TV On The Radio (2008)10/12/2017


Consciemment ou inconsciemment, le titre de l’album, Dear Science, affirme l’importance des technologies sans lesquelles les groupes ne pourraient fonctionner à l’ère du numérique, laquelle s’est superposée à celles, plus anciennes, de l’électricité et des télécommunications, et en particulier l’importance du facteur technologique chez une formation telle que TV On The Radio, où l’on entend, dès « Halfway Home », à quel point le titre, sans renoncer pour autant à la force du rock, semble avoir besoin des sonorités électroniques, tant au niveau du rythme que de la mélodie, pour déployer sa spécificité. Cette spécificité de la chanson post-moderne, riche en rebondissements et en subtilités, s’affirme en outre à travers une voix d’emblée plus grave et plus posée qu’à l’ouverture du précédent Return to Cookie Mountain, comme si une étape décisive avait été franchie depuis en termes de maturité. Très funk et, en même temps, hip-hop au niveau du rythme et de la production, toujours au service d’un chant avant tout imprégné de musique soul, « Crying », plus ou moins émotionnel selon les instants, offre un exemple de la manière dont le heavy R&B aurait pu se renouveler à travers la musique électronique en restant fidèle à sa culture et à ses racines, tout comme le rap singulier de « Dancing Choose », toujours sur le point de déborder dans la mélodie sur un tempo de course, montre une déclinaison des techniques vocales qui sort de l’ordinaire, une déclinaison secrète, insoupçonnée, aux allures de territoire vierge, contribuant une fois encore aux lettres de noblesse de la musique électronique, à un stade tardif de l’évolution de l’industrie du disque. Ces trois premiers morceaux interrogent, donnent prise à une réflexion théorique. On accède, en l’espace de quelques minutes, à la mise en place d’un certain nombre d’éléments essentiels, au carrefour des influences et au cours d’une période critique, critique pour la culture rock comme pour la culture hip-hop. Ce ne sont pas tant ces chansons en elles-mêmes qui atteignent ce niveau de paradigme que la démarche à laquelle elles contribuent et vers laquelle elles attirent l’attention du public. Ceux qui n’auraient pas encore écouté entièrement Dear Science se douteraient, dès ces trois premiers titres, que l’opus serait très bon : pas encore le chef d’œuvre incarné par Nine Types of Light en 2011, mais un progrès dans ce sens, un progrès empirique sous forme d’hommage explicite ou implicite à la science qui sous-tend la musique.

Suivant l’hypothèse qui accorderait, sous forme de note, une même appréciation aux disques de TV On The Radio des années 2000, on considèrerait soit qu’ils se valent tous, soit que, si l’un d’entre eux devait quand même l’emporter sur les autres sans que cela influence forcément la note d’ensemble, les arguments de la chronique serviraient de référence. Noter deux œuvres selon les mêmes critères implique de les départager selon les arguments quand la note donnée est la même. Autrement, la problématique ne subsiste que si l’on considère qu’il y a lieu de départager deux œuvres ayant des notes différentes mais pouvant se valoir car évaluées selon des critères différents, ce qui ramène soit au débat sur la difficulté de l’évaluation conjointe, soit à un mode de pensée plus chaotique. Cette relation supposée au chaos, qui montre dans quelle mesure la notion d’objectivité échappe à l’évidence, correspond au parcours passionnant d’un groupe hybride, mutant, tel que TV On The Radio, et souligne en même temps l’ambivalence de notre appréciation des cultures rock et hip-hop. On évoquera ainsi, par exemple, la grandeur et la misère du rap : grandeur de ces figures charismatiques de la scène urbaine du vingtième siècle tardif et du vingt-et-unième siècle encore incertain, symboles d’une époque, de la créativité d’une génération et des modes de consommation innovants qui en découlent ; misère d’une musique où les échantillonnages ont remplacé la maîtrise des instruments traditionnels qui ont fortement œuvré à la gloire de la musique soul. En ce sens, il y a effectivement un lien de subordination qui place, de fait, la soul en position de supériorité par rapport aux musiques de la culture hip-hop. D’un autre côté, il est vrai aussi que, en musique comme ailleurs, la technique n’est pas une fin en soi. Il ne faut pas perdre de vue que c’est avant tout un résultat que l’on évalue. Et, en termes de résultat, le rap est-il moins apte que la soul à proposer des projets artistiques solides et des ambiances représentatives d’une identité propre, qui se prêterait au rassemblement de son public de base dans un contexte collectivement reconnu ? Bien sûr que non. D’où la pertinence, chez TV On The Radio, d’inclure le rap au même titre, en définitive, que la soul.

Quant à la dimension consumériste du débat, il faut dépasser le point de vue qui consiste à faire mine de découvrir au bout de plusieurs décennies que le rap marche avec une industrie. D'ailleurs, peut-on reprocher à un genre musical de participer à une économie de marché, à un système de consommation ? Même la musique classique le fait par le mode de diffusion de ses disques. Pour rejeter en bloc l'argent, il faudrait revenir au troc. Et pour estimer que le libéralisme n'a rien de bon, il faudrait proposer un régime 100% communiste. Or l'État a démontré ses limites dans sa capacité à gérer tous les secteurs de l'économie. Une partie des échanges demeure la compétence du secteur privé. Certes on assiste à un excès de libéralisme. Mais l'autre extrême ne vaut pas mieux. De plus, le communisme lui aussi reste attaché au productivisme industriel. Ernest Mandel, dans sa lecture de Marx et d'Althusser, posait le problème de la diffusion marchande du Capital. On pourrait appliquer les mêmes propos à certaines formes de rap : même les messages les plus subversifs en apparence, quand ils existent, ont un aspect vendeur, signe des contradictions internes d'un système commercial au sein duquel grondent les revendications, sans oublier la légitimité du divertissement, qui n'enlève rien à la sincérité du propos ni à la qualité artistique, quand elles existent. Il faudrait être bien austère pour reprocher au public d'aimer les femmes, le sexe, l'argent. Le plaisir n'empêche pas d'avoir avant tout des convictions et une éthique. Certes on peut attaquer les rappeurs les plus vendeurs sur leurs motivations purement vénales, sur la médiocrité voire la mauvaise qualité de nombreuses productions depuis 2007, sur la pauvreté musicale d'un genre en perte de vitesse, mais même un simple spectacle, qui n'a d'autre vocation que de distraire, se défend s'il est honnête. L’inclusion du rap chez TV On The Radio va bien sûr au-delà du spectacle et de la distraction, car TV On The Radio n’étant pas un groupe de rap, cette inclusion, qui respecte l’esprit de la formation et la direction empruntée par l’album, est une inclusion artistiquement motivée. Quant aux relations entre le rap et le rock ou le metal, que l’on se souvienne, entre autres nombreux exemples, de Cypress Hill, de Body Count, de Rage Against The Machine, des collaborations entre Aerosmith et Run DMC, Anthrax et Public Enemy. Un disque tel que Dear Science, avec un naturel qui atteste une grande maîtrise, se fait l’écho de cette ébullition technologique, culturelle, politique et artistique, affirmant à juste titre que l’électronique, en soi, n’est pas à elle seule responsable de la décadence des scènes musicales populaires. La responsabilité ne repose pas uniquement sur la science ou sur la technologie, mais sur l’utilisation qui en est faite. À la fois soul, rock et électronique, Dear Science, dont on se souviendra comme d’un album fédérateur et crédible, se nourrit autant de son actualité sonore que de l’apport de talents plus traditionnels, apparaissant comme autant de signes d’espoir : cuivres pour le côté jazz («  Red Dress », « Love Dog », « DLZ », « Lover’s Day »), quatuor à cordes pour le côté classique (« Stork and Owl », « Golden Age », « Family Tree »). Note : 8/10.


D. H. T. (23/03/2013 & 10/12/2017)

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Chronique de l'album "Return to Cookie Mountain" de TV On The Radio (2006)9/12/2017


C’est un « I Was a Lover » hallucinant qui ouvre la voie de Return to Cookie Mountain, sur un rythme minimaliste digne du rap et du hip-hop soul au meilleur de leur forme, où les sons et les enchaînements inattendus entraînent une cascade d’effets bruyants, rendant la distinction difficile à opérer entre ce qui relèverait éventuellement de la guitare électrique, des cuivres, du klaxon ou de l’eau qui se déverse pour laver une surface usée. Ce morceau éveille l’intérêt au plus haut point. Plus rapide, plus clair, plus décidé, « Hours » indique une avancée qui a trouvé très vite son rythme de croisière, le regard en avant vers les sommets. Plus lent, plus sombre, néanmoins optimiste, « Province » se concentre plutôt sur la mélodie. Depuis le début, un défaut s’acharne cependant contre ces trois titres, un défaut qui n’avait pas à ce point interpellé dans le précédent Desperate Youth, Blood Thirsty Babes : la voix est systématiquement aiguë, peut-être un peu trop, ce qui ne se justifiait pas nécessairement. Il y aurait moyen de revenir sur ces chansons et d’en proposer d’autres enregistrements avec une voix plus grave. L’audace rythmique, brusque et saccadée, de « Playhouses », s’accompagne d’une saturation de fond adaptée à l’agressivité ambiante, ainsi que d’un chant plus grave qui donne heureusement tort aux remarques précédentes. C’est pour l’instant le moment rock, le moment fort s’il ne doit y en avoir qu’un, de cet album qui sait entretenir l’effet de surprise. Davantage encore voué à l’attaque, à la vitesse, mais aussi à une harmonie lancinante, « Wolf Like Me » a déjà détrôné « Playhouses » : le rock s’est débridé, a évolué vers le punk tout en restant soul (entendons qu’il n’y a pas à proprement parler de rythme punk, sauf dans un sens métaphorique pouvant parfois justifier cette formulation, puisque le punk se base sur le rythme rock). Les sifflotements d’ « A Method » indiquent une accalmie, le temps de reprendre son souffle et de retrouver ses esprits, démontrant ainsi un sens de la continuité qui pourrait tout aussi bien relever d’une session live. L’intensité se déploie par étapes, comme si elle s’attachait à une logique de reconstruction. L’intermittence de la batterie et des chœurs instaure une régularité tout en suggérant un éternel retour, une permanence hors du temps, aussi fondamentale que le simple geste qui consiste à frapper des mains ou à claquer des doigts. Quelque part entre les allusions explicites à des rythmes africains traditionnels et une violence maîtrisée par la ferveur collective, « Let The Devil In » met en valeur la mélodie vocale et instrumentale avec une rigueur nourrie d’accents tranchants et acérés, tel un hymne aux vertus cathartiques de la brutalité du son. « Dirtywhirl », non dénué de velléités pop, invite le sourire et la rage à se retrouver dans une même flamme, jusqu’à l’éclosion de la sérénité. « Blues from Down Here », finalement plus traditionnel que ce à quoi on pouvait s’attendre, n’empêche pas les TV On The Radio de rester reconnaissables dans leur approche du thème, entre autres grâce aux savantes variations d’expressivité du chant tellement caractéristiques de leur style qui, sans jamais s’écarter totalement du blues sur ce titre, suggère en même temps d’autres directions. Entre les cloches et les larsens, « Tonight » se fraie un passage habile, à l’instar d’une émotion dont le paroxysme arrive au moment opportun, en accord avec un environnement résolument riche et complexe. « Wash the Day » va aussi loin que possible dans l’exploitation du potentiel de tous les instruments, au service d’un final puissant et chargé, clôturant un disque dont on devine que ses auteurs en sont ressortis plus forts. Note : 8/10.


D. H. T. (09/12/2017)

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Chronique de l'album "Desperate Youth, Blood Thirsty Babes" de TV On The Radio (2004)8/12/2017


Desperate Youth, Blood Thirsty Babes, deuxième album de TV On The Radio (Tunde Adebimpe, Kyp Malone, David Andrew Sitek) si l’on compte le désormais introuvable Ok Calculator, démarre avec « The Wrong Way », qui frappe tout de suite par sa dualité entre des sonorités cuivrées venant tout droit du free jazz et un continuum bruyant, dualité qui en amène une autre, celle entre un rythme rapide et des voix fébriles dont on se demande d’abord ce qui va en sortir et qui s’affirment rapidement dans leur registre soul. Ces deux dualités se maintiennent jusqu’au bout mais la deuxième a pris le pas sur la première. On n’a pas l’habitude d’écouter des chansons structurées d’une façon aussi singulière, à la fois simple et complexe, où des timbres instrumentaux appartenant à des horizons différents servent de trame de fond à la relation étroite qui se noue d’emblée entre la section rythmique et la dimension vocale. Cela en dit déjà long sur l’inventivité du groupe. Plus axé sur la mélodie du chant et sur le contrepoint vocal, « Starring at the Sun » enrichit progressivement les impulsions du rythme, suivies par la saturation. Après une introduction grave et sobre, la monotonie mélancolique des nappes sonores et le chant tourmenté de « Dreams » font route commune, avant de revenir au dépouillement initial, et ainsi de suite, décrivant une alternance classique autant qu’efficace, de plus en plus électrisée, finissant par gagner discrètement en intensité à tous les niveaux. Les murmures de « King Eternal », sur lesquels les instruments s’attardent dans un premier temps, amènent une batterie de plus en plus appuyée : c’est pour l’instant le titre qui exploite le mieux les contrastes entre les timbres, et la profondeur sonore ambiante assure en quelque sorte les arrières de ce choc musical permanent, en suggérant la possibilité d’une présence surnaturelle qui servirait, à la limite, de référence commune. Plus proche d’un chant figuratif et propre à assurer le rythme à lui seul, à la manière de Bobby McFerrin, « Ambulance » livre un aperçu convaincant du talent a cappella de cette formation décidément hors norme, dans le bon sens du terme, qu’est TV On The Radio. Plus rock mais sans se presser pour autant, « Poppy » dynamise la deuxième partie de l’album, finissant par réunir les techniques vocales du précédent « Ambulance » et des sons d’une tribalité agressive. Religieusement, « Don’t Love You » s’appuie sur une harmonie répétitive qui n’est pas sans rappeler Philip Glass ou Klaus Schulze. Il est décidément surprenant de réaliser à quel point, d’une chanson à l’autre, les références les plus inattendues nourrissent la cohérence du projet, basée sur des intonations soul d’une grande malléabilité. Si « Bomb Yourself », entre rock et reggae, retarde le moment de l’explosion, c’est pour mieux entretenir la tension d’une atmosphère qui se laisse découvrir, et c’est là que les guitares s’expriment avec le plus de justesse. Plus calme, focalisé sur la complémentarité entre le chant grave et le chant aigu, « Wear You Out » parvient à tenir sept minutes grâce au talent, toujours, et aussi grâce à une orchestration qui s’étoffe graduellement, de plus en plus intense. Il est étonnant que certains amateurs de hip-hop soul, déçus à juste titre par l’évolution globale de leur scène de prédilection depuis le tournant des années 2010, ne se réorientent pas davantage vers un groupe comme TV On The Radio, qui respecte mieux l’esprit de la soul. C’est peut-être parce que les amateurs en question préfèrent la culture hip-hop à la soul, ce qui n’est pas le meilleur choix car, objectivement, il faut bien admettre qu’aucun rappeur ni aucun producteur de hip-hop ne tiennent la comparaison face à la musicalité, si l’on se tourne vers le passé, d’un groupe aussi exceptionnel qu’Earth, Wind & Fire, l’une des influences majeures des membres de TV On The Radio, lesquels parviennent magistralement à concilier cette influence avec mille autres sources d’inspiration, depuis la pop jusqu’au hardcore en passant par la Jamaïque, tout en privilégiant, de façon permanente, la ligne directrice de chaque projet d’album, ligne directrice fondée sur la conscience intime d’une identité vocale à toute épreuve. Note : 8/10.


D. H. T. (08/12/2017)

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Chronique de l'album "This Nation's Saving Grace" de The Fall (1985)7/12/2017


Après une introduction instrumentale à la fois sombre et mélodieuse signée par la talentueuse Brix Smith, qui met la guitare à l’honneur (« Mansion »), c’est un « Bombast » très punk, aux sonorités lourdes proches du hard rock et du heavy metal, qui contribue à ouvrir l’album sous les meilleurs auspices, un « Bombast » malheureusement parasité par des cris suraigus, semblables à ceux d’une chienne en chaleur ou d’un groupe de glam rock (et il y a lieu d’hésiter quant à savoir, entres les termes « chienne en chaleur » ou « groupe de glam rock », lesquels rendent la comparaison plus péjorative). Malgré ses irrégularités, « Barmy » ne manque pas d’intérêt car il parvient à préserver cette lourdeur de la section rythmique précédemment évoquée, lourdeur synonyme, en l’occurrence, de puissance sonore. C’est une autre lourdeur, synonyme cette fois de Mark E. Smith, qui enchaîne avec un « What You Need » caractéristique des goûts souvent douteux de son auteur, à savoir : vaguement expérimental, d’une répétitivité simpliste, une belle illustration de la fumisterie underground. « Spoilt Victorian Child », bien qu’également dû à l’intéressé, propose des variations plus convaincantes, allant de la violence d’une approche primaire et agressive du rock à des pauses réflexives non dénuées de spiritualité. Nettement plus pop, le presque instrumental « L.A. » montre ce que peut donner la collaboration entre Mark et son épouse Brix dans l’écriture d’un même titre, en termes de sens de l’équilibre entre les influences. Même remarque avec « Vixen », dont le souvenir du vieux rhythm and blues dans un contexte plus bruyant rappelle « Run, Run, Run » du Velvet Underground, tout en nous donnant le plaisir d’entendre chanter la charmante Brix. Le duo fonctionne décidément bien, si l’on en croit le rythme rapide et l’air entraînant de « Couldn’t Get Ahead ». En dépit de ses discontinuités, « Gut of the Quantifier » demeure un titre fort, percutant, qui s’efforce toujours d’aller droit au but avec hargne, apte à tenir la durée. La garde ne se meurt ni ne se rend, mais les intonations de Mark E. Smith sur « My New House » ne sont pas exemptes de dérapages hystériques (voir les remarques concernant « Bombast »). C’est l’éternel problème de la théâtralisation de la chanson, un problème plus général qui concerne aussi, par ailleurs, un groupe comme The Residents (dont tout ce que l’on a pu dire sincèrement sur l’aspect mythique finit par s’effondrer à cause des fautes de style qui passent peut-être l’épreuve de la scène, et encore, mais pas l’épreuve de l’écoute intime d’un vinyle ou d’un CD) ou, histoire de mettre la barre plus haut, un artiste comme Frank Zappa lui-même (lequel, dans un élan de lucidité extraordinaire face à ce travers dénoncé, avait fini par sortir un Shut Up and Play Guitar). Ce qu’un auditeur sensé attend d’un groupe, c’est de la musique et rien d’autre. Pourquoi ne pas conserver une telle attente dans le contexte d’un album de The Fall, quand un titre tel que « Paint Work » prouve à quel point Mark E. Smith et ses collaborateurs du moment ont le talent de générer des ambiances sonores, au sein desquelles toutes les contributions se complètent : vocales, instrumentales, bruitistes, mélodieuses ? Une ligne de démarcation apparaît ainsi sans équivoque, entre les fans du groupe qui perçoivent le bon côté des choses (le climat oppressant et l’atemporalité tribale d’ « I Am Damo Suzuki »), tandis que la majorité, à laquelle cette chronique ne donne pas systématiquement tort, n’y verra qu’une escroquerie conceptuelle à la Marcel Duchamp maladroitement transposée dans le monde de la musique. Les accords efficaces de « Petty (Thief) Lout » (dommage qu’il y ait autant d’interruptions) et le vieux rock and roll de « Rollin’ Dany » (que ne dément pas « Cruiser Creek », le titre de conclusion) aident la balance, en définitive, à pencher du bon côté. Néanmoins, après avoir utilisé deux batteurs en même temps (signe distinctif de la période initiée par Hex Enduction Hour), puis invité Gavin Friday à participer à The Wonderful and Frightening World of The Fall, Mark E. Smith et sa femme divorceraient quelques années plus tard, et le meneur du projet aurait bien du mal à convaincre, aujourd’hui encore, que la période 1982-1985 ne fut pas, tout simplement, la meilleure du groupe, au point de rendre anecdotique tout ce qui précéda et tout ce qui suivit. Comment prétendrait-il le contraire, puisque les fans eux-mêmes pensent que Hex Enduction Hour s’est maintenu au rang de chef d’œuvre de The Fall ? En fait, le chef d’œuvre de The Fall, s’il appartient bien à cette période, n’est ni Hex Enduction Hour, ni Perverted by Language, ni même le présent This Nation’s Saving Grace, mais The Wonderful and Frigthening World of The Fall, aussi bon que Hex Enduction Hour, avec un supplément de chaleur, de spontanéité, de musicalité qui fait toute la différence, sans être pour autant un coup de cœur. Parfois la note ne suffit pas à départager deux œuvres, surtout quand la note est la même dans les deux cas : les arguments aident à déterminer la préférence in fine, arguments qui plaident depuis le début en faveur, non pas de la posture ou de la personnalité, mais de ces cinq fondamentaux que sont l’inspiration, la composition, la coordination, l’interprétation et la production. Note : 7/10.


D. H. T. (07/12/2017)

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Chronique de l'album "The Wonderful and Frightening World of The Fall" de The Fall (1984)6/12/2017


Comme à l’accoutumée chez The Fall, on a droit, dès l’introduction, au meilleur (des guitares grinçantes comme une machine rouillée) côtoyant le pire (un concert de voix débiles sorties d’une secte ou d’une réunion d’alcooliques), mais très vite, surprise : « Lay of the Land » s’impose avec un rythme rapide, une mélodie simple et efficace, de la distorsion, un Mark E. Smith qui prend soin de ne pas écraser les autres instruments de sa présence, et on atteint presque les six minutes sans les voir passer. Mieux encore : « 2 x 4 » est dans la même lignée, malgré des interruptions qui enrichissent le morceau plus qu’elles ne le ralentissent. D’ailleurs, la guitariste / chanteuse Brix Smith s’y exprime tout autant que le leader. Le groupe aurait-il enfin compris ce que le public attend de l’agressivité d’un groupe de rock ? Il faut supposer que c’est là le côté merveilleux de l’opus dont parle le titre, et que le côté effrayant va faire son entrée en scène sous la forme d’une posture artistique indigeste, qui n’intéresse personne (sauf quelques journalistes snob qui ne comprennent rien à la vie). On le redoute en tout cas, mais « Copped It », aussi punk que bruyant, va dans le sens de l’homogénéité furieusement établie par les deux titres précédents. La brillante lancée du début se prolonge encore via « Elves », plus sombre, plus mystérieux voire mystique mais pas moins énergique, procurant à l’auditeur le plaisir de retrouver la mixité vocale homme / femme mieux exploitée ici que dans le précédent Perverted by Language. On a déjà atteint le quart de l’album. Pourvu que les douze titres restants comprennent le message. D’abord plus dépouillé au niveau instrumental, « Oh ! Brother » s’électrise davantage au gré de son développement, au service d’une mélodie très consonante, où les paroles du chanteur ne semblent avoir qu’un but salutaire, celui de se fondre dans le décor. Cette fois-ci serait-elle la bonne ? En fait, les deux précédents albums étaient respectivement très bon et bon, cependant il semblerait que celui-ci n’ait pas besoin de se défoncer ici et là pour faire passer certains défauts, bénéficiant d’un meilleur sens de l’équilibre et de la répartition. La preuve, « Draygo’s Guilt », fort de ses accords simples et de sa batterie de plus en plus enfiévrée, respecte l’esprit des précédents morceaux, composé pour emporter tous les suffrages. La définition du hit ou de ce qui s’en rapproche le plus chez The Fall ? Le ténébreux « God-Box » s’en tient lui aussi à un rythme punk, tandis que la voix, toujours sur le fil entre le discours et le chant, assume avec éclat un texte primaire, brutal, efficace. Plus lent, plus mélodieux, plus reposant, « Clear Off ! » ne manque pas, pour autant, de s’en tenir à un cahier des charges privilégiant la musicalité pleine et entière de chaque chanson, démonstration d’une intelligence de leur parcours que les groupes, d’une manière générale, n’atteignent pas facilement, faute de savoir prendre le recul nécessaire par rapport à une réécoute globale de leurs productions. En somme, si Perverted by Language accusait une baisse de régime après Hex Enduction Hour, tout en introduisant les qualités du facteur pop qui manquaient à celui-ci, The Wonderful and Frigthening World of The Fall a le grand mérite, lui, de se concentrer sur le travail plutôt que sur l’ego, ce qui permet à la joyeuse bande de revenir, bien que d’une manière différente, à son meilleur niveau. Justement très pop, « C.R.E.E.P. » valorise la voix de la chanteuse d’une façon jouissive, si bien que le duo apparaît sous son meilleur jour. « Pat-Trip Dispenser », par esprit de complémentarité, se montre moins accessible, tout en s’engageant, comme les autres chansons, dans une profusion de sonorités n’ayant que le rock pour mot d’ordre. « Slang King » organise lui aussi une rencontre réussie entre la détermination du rythme et la recherche dont font preuve les mélodies instrumentales, tandis que Mark E. Smith reste égal à lui-même, attentif à ce que font les autres musiciens. La lenteur inutile de « Bug Day » ne parvient pas à gâcher l’ambiance, pas plus que « Stephen Song » (qui rattrape le coup), « Craigness », « Disney’s Dream Debased » (agréable par son sens de l’harmonie et de la continuité), « No Bulbs » (un exemple magistral de synthèse pop rock, définitivement un classique). Note : 8/10.


D. H. T. (06/12/2017)

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Chronique de l'album "Perverted by Language" de The Fall (1983)5/12/2017


L’album commence mal : le rythme d' « Eat Y'Self Fitter » paraît prendre son élan pendant six minutes sans jamais sauter, le son est pauvre, le recours à la répétition est simpliste et donc abusif, les voix ont des intonations ridicules, inutilement théâtrales pour un texte décousu et sans intérêt, qui passe du coq à l’âne. Du reste, on sait que la dramatisation à outrance a toujours des conséquences préjudiciables à l’écoute d’un disque, agissant comme un repoussoir. La suite s’avère nettement meilleure quand « Neighbourhood of Infinity », sur un rythme assuré, déploie saturation et discordance sans s’étaler outre mesure. Du coup la présence de Mark E. Smith n’a plus l’air aussi envahissante que quelques minutes auparavant, pour une fois il donne l’impression de vraiment faire partie d’un groupe, au lieu de maintenir ce dernier prisonnier de sa vision d’auteur prétentieuse autant que surestimée par des critiques dont on se demande vraiment ce qu’ils ont dans la tête. Quand The Fall veut faire de l’art, c’est pour le pire ; quand leurs chansons vont franchement vers le punk, c’est pour le meilleur. Après le mauvais suivi du bon, comment se situe « Garden » ? Entre les deux, mais plutôt du mauvais côté. Il faut supporter pendant huit minutes l’ambition littéraire et poétique du propos, qui s’exprime au détriment de la musique, laquelle résiste essentiellement par les variations d’intensité de la section rythmique, et au final les meilleurs passages sont ceux pendant lesquels Mark E. Smith comprend qu’il ferait mieux de se taire : dommage que cette compréhension ne lui vienne qu’à la fin de la chanson. Heureusement, la guitariste et chanteuse Brix Smith amène sa sensibilité pop pour un « Hotel Blöedel » simple et rafraîchissant, où l’autre égocentrique de chef, dans un élan de bonté, permet à son épouse de s’exprimer pleinement, même s’il se croit obligé de glisser quelques paroles de son cru dont on se passerait bien. « Smile », en revanche, montre Mark E. Smith sous un jour bien plus convaincant, car l’agressivité de la voix et celle du reste du groupe s’affrontent et s’équilibrent, ce qui rend lancinant, dans le bon sens, l’aspect obsessionnel des instrumentations. « I Feel Voxish » passe encore mieux, musicalement parlant, toujours pour la même raison invoquée au début : grâce à la proximité du punk rock (se reporter aux titres bonus de l’Expanded Edition pour avoir quelques surprises qui valent le détour), et aussi parce que le parti pris répétitif habituel s’enrichit de variations mélodiques opérant à tous les niveaux. Cela démontre le potentiel certain de cette formation, trop rarement révélé dans toute son envergure. « Tempo House » traîne la patte pendant près de neuf minutes, suscitant un bilan similaire à celui qui s’imposait à l’issue de « Garden ». Le fait qu’il s’agisse d’un enregistrement live à The Haçienda ne change rien à l’histoire. Là aussi, il y avait moyen de faire un emploi plus judicieux de cette basse ténébreuse pourtant du meilleur goût, qui parvient à sauver les meubles. Plus mélodieux sans renoncer aux rebords coupants des sons de guitare qui contribuent fortement à l’identité du groupe, « Hexen Definitive / Strife Knot » donne dans le blues et, soyons justes, dans l’ensemble c’est un vrai bonheur. Malgré les défauts évoqués plus haut, surtout liés à la personnalité du seul membre constant et qui, de ce fait, sévissent encore près de trente-cinq ans plus tard (rappelons que The Fall existe toujours en 2017), Perverted by Language s’en sort avec dignité. Il suffisait simplement d’enlever le piédestal posé par John Peel. Note : 7/10.


D. H. T. (05/12/2017)

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Chronique de l'album "Hex Enduction Hour" de The Fall (1982)4/12/2017


Certains groupes ne s’y destinaient sans doute pas à leurs débuts, mais vient un moment où ils prennent pleinement conscience de leur place dans la continuité de l’histoire du rock et du public de plus en plus élargi que le rock a pu convaincre à force de persévérance et de volonté sincère d’évoluer. Là, il n’est plus seulement question de post-punk, il est question, plus généralement, de musique. On reconnaît The Stranglers, comme on reconnaît The Fall. Le problème, c’est d’arriver à maintenir ce degré de conscience pendant tout un album. On ne va pas s’enthousiasmer pour un titre comme « Hip Priest », lent, hésitant, criard, irrégulier, sous prétexte qu’il sonne expérimental ou nul ne sait quoi d’autre. Par contre, le déchaînement permanent de la section rythmique sur « The Classical », qui n’est pas sans évoquer celui d’ « Atrocity Exhibition » de Joy Division en plus optimiste, ainsi que la richesse des variations rythmiques et mélodiques que nous livre « Jawbone and the Air-Rifle », avec des réminiscences qui convoquent d’autres scènes rock du passé, voilà qui donne envie de prolonger l’écoute. Quand « Fortress / Deer Park » s’attache à respecter ce registre brûlant comme le travail d’un cracheur de feu, on a tout autant envie d’oublier la faiblesse passagère de « Hip Priest », pour se dire que Hex Enduction Hour a encore ses chances de rester sur une lancée agressive qui rappellerait celle de Never Mind the Bollocks des Sex Pistols, rien de moins. Même « Mere Pseud Mag. Ed » veut aller dans ce sens, voire beaucoup plus loin, avec davantage d’aplomb, puisque la dissonance y est telle que les instruments semblent désaccordés, ce qui ne les empêche pas de jouer ensemble avec véhémence, de hurler, de tout démolir sur leur passage, occasion pour Mark E. Smith d’exceller dans son talent de crieur de rue. La suspicion revient toujours au galop quand on nous inflige une introduction aussi foireuse que celle de « Winter (Hostel-Maxi) ». La coupure entre les deux parties du développement de ce thème n’était pas nécessaire non plus, problème de conception, en somme, comme de finalisation. Car cette manière d’asséner la mélodie, toujours enrichie, avec la régularité des gestes et mouvements d’un creuseur de tombe, finit par constituer un socle également à la hauteur de cette manière résolument déjantée qu’a Mark E. Smith de s’affirmer en permanence entre la parole, le cri et le chant, tel l’éternel manifestant de toutes les causes perdues. Bien que plus sobre et plus dépouillé que les titres précédents, « Just Step S'ways » ne perd rien de l’impulsion coléreuse qui lui a été transmise, jusqu’à un « Who Makes the Nazis » qui présente l’intérêt de rapprocher le rock d’une inspiration plus traditionnelle, plus ancestrale (la découverte de l’Islande par le groupe y est certainement pour beaucoup). Dans la foulée, l’atemporel « Iceland » appuie totalement cette analyse, sans conteste le morceau de l’album qui révèle le mieux les vertus hypnotiques du potentiel instrumental de la formation. Sur ce, « And This Day » surgit, déboule, casse l’ambiance sans être franchement chaotique pour autant. Il ne manque que les pétards et le poil à gratter. On aimerait se dire que le groupe sait ce qu’il fait, et on s’accroche à cette idée, mais un doute subsiste jusqu’au dernier moment. Non que ce doute, en soi, concerne la détermination des musiciens à se porter garants de leur propre délire (c’est une certitude), délire qui accuse quand même un certain retard après ceux du Velvet Underground et de la musique psychédélique en général. Le doute résulte plutôt, en fait, de la viabilité limitée de tout ce cirque hors d’une idiosyncrasie anti-commerciale revendiquée en permanence, attitude que ne contredisent pas la Peel Session ou les titres bonus. Il ne s’agit quand même pas là du premier essai de The Fall, à qui la culture pop de la guitariste Brix Smith, par la suite, fera le plus grand bien pendant quelques opus. Au-delà, la longévité extraordinaire de ce groupe s’expliquera en grande partie par son public, un public relativement sectaire (il faut bien le dire), étrange en tout cas. Verdict : Hex Enduction Hour est très bon mais ne va pas jusqu’au coup de cœur. Aucun disque de The Fall n’y va, d’ailleurs. Ce n’est pas leur vocation, absence de vocation qu’il faudra bien qu’ils assument jusqu’au bout, eux ainsi que leurs supporters. Note : 8/10.


D. H. T. (04/12/2017)

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Chronique de l'album "The Night" de Morphine (2000)3/12/2017


Plusieurs éléments donnent l’impression, d’emblée, que « The Night » est la plus belle chanson de Morphine : le calme parfait, la continuité du son, la complexité affirmée de la section rythmique, l’équilibre entre la tristesse et la force, le dialogue final entre le chant et le solo cuivré, l’harmonie intime entre tous les instruments, dont le timbre du saxophone avoisine plus que jamais, par moments, celui du violoncelle de Jane Scarpantoni. Cette chanson se situe dans la convergence entre des influences aussi différentes que celles de Nick Cave et de Leonard Cohen, côté rock, et celle de Sade Adu, côté jazz. On a l’habitude de parler de consécration quand le succès d’un artiste s’impose massivement, mais il existe aussi une consécration proprement artistique, confidentielle, liée à la qualité du travail. Plus percussif encore, plus bruyant mais non moins méditatif, « So Many Ways » retarde le moment où les chœurs aident le titre à atteindre des sommets faisant honneur au morceau d’ouverture. Plus monotone, plus effacé, « Souvenir » permet en fait au saxophone de s’exprimer davantage que dans les deux chansons précédentes. On jurerait, à premier abord, que « Top Floor, Bottom Buzzer » insiste sur la section rythmique quitte à forcer le trait, et on se demande pourquoi, mais là encore, même constat que précédemment : les chœurs, d’une part, et le saxophone, d’autre part, nous réservent quelques belles surprises, dans un cadre qui aurait pu, autrement, sembler trop linéaire ou trop fade malgré le rythme appuyé. « Like a Mirror », lent, sombre, pesant, plus expérimental car plus bruyant et plus dissonant ou, au contraire, plus silencieux et plus distant, laisse la mélodie en sommeil jusqu’au moment où elle s’éveille lentement d’elle-même, prête à replonger aussi sec. Dans l’intervalle, la distance du saxophone s’amenuise. Jusqu’à présent, les chœurs féminins (Margarett Garrett, Tara McManus, Linda Viens, Carolyn Kaylor, Ramona Clifton) ont apporté, par leur seule présence, un supplément de sensualité qui pouvait faire défaut aux précédents opus, et c’est, avec l’orgue de John Medeski (Iggy Pop, John Scofield, John Zorn, Jaco Pastorius), l’un des traits distinctifs, non négligeables, de The Night. « A Good Woman Is Hard to Find » développe, avec un regain de nervosité, la définition du jazz rock en tant que force tranquille que donnait « The Night » au début. Si « Rope on Fire » dédie enfin une chanson entière aux magnifiques sonorités orientales qui n’avaient jamais dépassé, auparavant, le stade de l’allusion chez eux, « I’m Yours, You're Mine » s’essaie avec autant de bonheur à un autre registre, celui d’un psychédélisme cosmique. De nouveau axé sur la parole et sur les percussions, « The Way We Met » salue de près la transe tribale, dans la continuité, en somme, de la thématique du voyage musical. D’une lenteur plus obscure que le cœur de la nuit, « Slow Numbers », presque dangereux, arriverait à entraîner les auditeurs dans des sables mouvants. C’est avec une voix moins grave et vouée d’une façon plus immédiate à la mélodie (on pense un peu à Chris Isaak), entre blues et jazz, que « Take Me with You », où le saxophone et les chœurs féminins font leurs dernières apparitions remarquées, achève de graver dans nos mémoires l’un des meilleurs souvenirs de ce groupe exceptionnel que fut Morphine. Voici l’ultime hommage que les autres musiciens prirent le soin d’écrire, en toute sobriété, à l’intention de leur leader mort sur scène : « This record is dedicated to Mark Sandman. We are grateful for the time we had with you and the music you left with us ». Ces mots sont aussi, assurément, ceux de son public. Note : 9/10.


D. H. T. (03/12/2017)

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